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À Saint-Emilion, le festival de philo plus attendu qu'un grand cru

Dans le village du Bordelais, plusieurs milliers de visiteurs sont attendus au festival Philosophia qui ouvre ce mercredi sa onzième édition. Au programme cette année, le thème du «corps», qui devrait déchaîner les passions philosophiques.




«Nous allons à Saint-Emilion, à un festival de philo». La seconde partie de la phrase fait sourire l'interlocuteur qui, incrédule, connaît davantage le village bordelais pour ses dégustations. Depuis une décennie pourtant, ils sont des milliers à avoir goûté au plaisir de la philosophie dans les ruelles médiévales, les vignes, les cloîtres et les caves de Saint-Emilion, dans le vignoble de Pomerol ou la bastide de Libourne. L'année dernière encore, pour les dix ans du festival Philosophia, ils étaient 5.500 à avoir fait le déplacement.

C'est en 2007 que le metteur en scène Éric Le Collen lance ce festival, après avoir eu un «coup de cœur» en se rendant à celui de Modène, créé en 2001. Depuis, le «Filosofia» italien sert de modèle au «Philosophia» de Saint-Emilion. «Les vieilles pierres font résonner magnifiquement la pensée», explique la directrice du festival, Cécile Dégrois, très attachée à la dimension «festive» de l'événement. «Beaucoup de personnes privées ouvrent leurs portes et nombreux sont les bénévoles. S'ils ne sont pas eux-mêmes philosophes, ils sont heureux de cette proximité avec les grandes voix de la pensée», explique-t-elle, se souvenant de l'émotion de l'un d'eux qui avait pu discuter deux heures durant avec le philosophe Marcel Conche, 95 ans aujourd'hui, en le convoyant jusqu'au festival.
Le philosophe Raphaël Enthoven réalise sa conférence devant un alignement de cuves de vinification.
Après le «pouvoir» en 2015 et la «culture» en 2016, la quarantaine d'intervenants invités pour la 11ème édition de Philosophia débattront cette année, du 24 au 28 mai, du thème du «corps», choisi par l'association «Idées Nouvelles», qui organise le festival. Dans cette cité classée au patrimoine mondiale de l'Unesco, philosophes, scientifiques, anthropologues, artistes ou œnologues feront œuvre d'éducation populaire. Discussions, ateliers, balades, apéros, séances de cinéma, concerts, spectacles… tous les formats sont bons pour philosopher lors des dizaines d'événements, gratuits pour la très grande majorité, organisés pendant cette «fête de l'esprit».
Les philosophes au contact de la foule des promeneurs
Le sujet du «corps», plus concret que les thèmes des années précédentes, mais qui suscite depuis des siècles de vives querelles théoriques, a la particularité de faire résonner l'univers parfois abstrait de la pensée et le monde de l'expérience, ressentie par tous. «Le corps est au cœur des débats sociétaux de notre époque, c'est un enjeu qui intéresse chacun de nous. Nous avons tous un corps!», lance, enthousiaste, Cécile Dégrois.
Si la philosophie a le vent en poupe, comme en témoigne le succès de nombreux essais philosophiques dans les rayons de librairie, le festival de Saint-Emilion en est l'une des plus belles illustrations. Son ambition? «Offrir à tous, connaisseurs, passionnés, amateurs ou simples curieux, le plaisir d'apprendre et de comprendre», expliquent les organisateurs qui, reprenant une formule de Raphaël Enthoven, veulent faire «descendre la philosophie dans la rue mais sans la mettre sur le trottoir».
Les conférences sont accessibles, mais elles n'en sont pas moins exigeantes. Il y a quelque chose d'antique dans cette démarche du festival Philosophia. Aristote, qui avait fondé à Athènes une école de philosophie, le Lycée, enseignait le matin à ses disciples les plus savants, mais le soir, enseignait de façon plus accessible à tous ceux qui souhaitaient s'initier à sa pensée. Sa méthode? La promenade, peripatos en grec. Dans cet esprit antique, le festival de Saint-Emilion est une grande balade dans un lieu idyllique, avec des philosophes qui, le temps de quelques jours d'été, quittent leur chaire universitaire pour se mêler à la foule des promeneurs. Philosophia propose d'ailleurs des «balades philosophiques» dans les champs. Cette année, c'est l'écrivain Olivier Bleys, qui y évoquera «le corps en marche»... sans rapport avec l'actualité politique.
Les «balades philosophiques» sont une spécialité de Philosophia. Cette année, l'écrivain Olivier Bleys parlera de la marche.
Des «bases neuronales» à la «jouissance», le corps vu sous tous ses angles
On pourra aussi écouter le neurologue Lionel Naccache situer le cerveau «quelque part entre le corps et l'esprit», le philosophe Michael Foessel, de l'Ecole Polytechnique, parler du «corps nocturne» qui «prémunit contre les lumières trop crues et les lucidités prématurées», Martin Legros, rédacteur en chef de Philosophie Magazine, proposer une petite histoire philosophique du corps de Platon à Merleau-Ponty ou le philosophe Thierry Hoquet et l'informaticien Pierre-Yves Oudeyer évoquer les robots, qui obligent à repenser les limites de nos propres corps.
Tandis que l'astrophysicien Jean Audouze décrira les corps célestes et que la philosophe Céline Spector interrogera, à travers l'Europe, l'existence des corps politiques, le duo formé par Raphaël Enthoven et Adèle Van Reeth débattra de la jouissance, qui dépasse «le domaine de la sexualité». Dans son spectacle «La philosophie enseignée à ma chouette», le comédien et philosophe Yves Cusset réalisera quant à lui un «voyage initiatique, absurde et drôle, au pays des idées philosophiques». Les enfants seront aussi à l'honneur avec les ateliers-philo de Christophe Nicolas, journaliste au magazine de jeunesse Astrapi, quand les plus grands pourront écouter Jean-Paul Kauffmann démontrer dans un éloge du «vin libre» que «l'amateur de Bordeaux est un homme délivré». L'académicien Michel Serres, qui fait du décloisonnement des savoirs l'une des exigences de la philosophie, conclura le festival.
De la bibliothèque universitaire où s'exposent les grands textes à la cave viticole où reposent les grands crus, il n'y a parfois qu'un pas, qu'avait franchi Louis Pasteur en 1882 quand il déclarait: «Il y a plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres». Les visiteurs de Philosophia ne renâclent certainement pas à la lecture, mais ils font au moins le pari qu'un bon verre de Saint-Emilion, qui plus est lorsqu'il est partagé avec des philosophes, peut aider à penser, sans modération.

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